7-8 Nov 2013 Collège de France - Paris (France)
Thursday 7
Norms Diachrony
Président de séance Hocine BENKHEIRA
› 9:50 - 10:10 (20min)
› Salle Claude Lévi-Strauss
Et l'esturgeon devint halâl en islam chiite
Christian Bromberger  1, *@  
1 : Institut d'ethnologie méditerranéenne, européenne et comparative  (IDEMEC)  -  Website
CNRS : UMR7307, Université de Provence - Aix-Marseille I
MMSH 5 Rue du château de l'Horloge - BP 647 13094 AIX EN PROVENCE CEDEX 2 -  France
* : Corresponding author

Alors que, dans ses écrits, il avait précédemment confirmé l'interdit chiite de la consommation des poissons sans écaille, et donc de l'esturgeon et de ses œufs (le précieux caviar), l'âyatollâh Khomeyni, par un fatvâ de 1362 sh. (1983), en déclara la consommation licite (halâl). Jusqu'à cette date, le chiisme se conformait aux règles héritées de la Bible : "Tout ce qui dans les eaux n'a pas de nageoires et d'écailles, vous l'aurez en abomination" (Lévitique, 11, 12). Dans ses écrits,Khomeyni donnait les raisons suivantes à cet interdit : « Si le poisson doit avoir des écailles pour que sa chair puisse être consommable, c'est entre autres parce que, dans la mer, les poissons sont perpétuellement menacés par les microbes, les poisons et les attaques de leurs ennemis. Leurs écailles les protègent en fait, comme une armure, contre les microbes et les poisons ». Avec la République islamique, le problème de l'esturgeon devint une affaire d'état. Longtemps concédée aux Russes, ensuite aux Soviétiques, puis gérée par une sociétéirano-soviétique, enfin, depuis 1953, monopole d'une société nationale iranienne, la pêche à l'esturgeon et la production(lucrative) de caviar sont depuis cette date de la responsabilité de l'État. Que faire ? Des représentants de la société nationaledes pêcheries posèrent la question. Des consultations de clercs, de grands ayatollahs (dont Khomeyni lui-même), d'experts, de pêcheurs, il résulta que l'esturgeon, et donc ses œufs, pouvaient être consommés, le poisson présentantquelques écailles losangiques, en particulier sur le lobe supérieur de sa nageoire caudale asymétrique. Cette mesure, qui donna donc lieu à un fatvâ de Khomeyni en 1983, amène à s'interroger sur les raisons qui peuvent entrainer la levée d'un interdit. Des raisons politico-économiques sans doute. Ondénonça, dans le contexte révolutionnaire, l'utilisation impérialiste de cet interdit faite dans le passé: les Russes l'avaient avancé à leur avantage, privant ainsi « les musulmans et les Iraniens » d'un aliment « riche en protéines ». Des raisons tenant à l'incertitude du statut classificatoire de l'aliment prohibé. La peau de l'esturgeon est recouverte de quelques écailles et, dans un texte préalable à son fatvâ,Khomeyni laissait la porte ouverte à ce revirement taxinomique: « Peuvent être consommés comme aliments, écrivait-il, ceux des poissons qui ont des écailles ou qui, à l'origine, avaient des écailles qu'ils ont ensuite perdues ou qui ont été détruites à la suite de certaines séquelles »(souligné par moi). L'esturgeon présente donc des « signaux mixtes » dans une classification binaire. Khomeyni, dans sonfatvâ, en tient d'ailleurs compte, autorisant la consommation en cas de doute sur la présence ou non d'écailles. Dans cette levée de l'interdit des raisons tiennent enfin au statut del'ejtehâd (effort d'interprétation) dans le chiisme duodécimain contemporain, l'école théologique osuli, aujourd'hui dominante, affichant, contrairement à l'école akhbâri, unetendance favorable à l'interprétation.


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