L'approche grammaticale de Wittgenstein peut être utilisée à propos de termes faisant référence au divin et à la religion. Elle articule un « terme » avec ses usages sensés pour une communauté d'utilisateurs. Ce que le terme peut signifier est strictement lié à ces usages. A priori, le « halal » et le « bio » renvoient à des communautés d'utilisateurs différentes. Mais, il s'agit de communautés virtuelles, c'est-à-dire de communautés distinctes d'individus concrets. On peut donc à la fois être musulman et adepte des produits « bio », comme on peut être musulman et aimer le football. Les deux identités sont discrètes, leur coprésence n'est pas intrication. Le « halal » relèverait ainsi d'un ordre de vérité et le « bio » d'un autre.
De fait, le « halal » consiste dans le respect d'un prescrit divin alors que le « bio » est une forme de rapport à la nature. Les ontologies mobilisées ne sont ainsi, au départ, pas les mêmes. La relation à Dieu et la relation à la nature ne renvoient pas, en effet, au mêmes conceptions du monde et aux mêmes identités (d'une même personne). On ne mange pas « bio » afin d'obéir à un prescrit divin mais par souci de soi. Toutefois, si l'on consulte les sites consacrés à ce double label et les commentaires de ses partisans, il semble que l'on ait affaire à un même jeu de langage. Plutôt que de souligner les contradictions entre l'un et l'autre registre, on se propose de considérer le « halal-bio » comme un jeu de langage à part entière et, partant, d'en explorer la grammaire, c'est-à-dire les usages sensés simultanés des deux catégories. Cette approche devrait nous permettre de substituer l'arrière-plan de compréhension de la vie quotidienne contemporaine à l'arrière-plan de compréhension de la normativité islamique pour rendre compte de l'actualité du halal (et, partant, du divin).